SOTEU2023 - Bouger sans avancer
Blog, 14/09/2023, par Sven Franck
Hier, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a prononcé son dernier discours sur l'état de l'Union européenne (SOTEU) avant les élections de 2024. Le discours était prononcé en anglais, en allemand et en français, comme il le faut. Cependant, les commentateurs argueront que la présidente de la Commission ne s'adressait pas aux Européens à 9 heures du matin, mais plutôt à son groupe parlementaire en vue de sa candidature pour un deuxième mandat. Et bien qu'elle ait couvert de nombreux sujets, y compris son ambition de compléter le projet européen, elle n'a annoncé aucune mesure tangible pour faire l’avancer. Au lieu de cela, elle a opté pour une pléthore d'engagements, de conférences symboliques, de réglementations et de rapports. L'Europe en 2024 restera une union économique qui continue à nier les dimensions démocratique et solidarie qui lui font cruellement défaut aujourd'hui.
L'achèvement du projet européen
L'allusion au Bauhaus européen, le concept évoqué par Ursula von der Leyen au début de son mandat, est évidente. Il serait bien sûr approprié de continuer le projet européen avec l'adhésion de pays comme l'Ukraine, la Moldavie et les pays des Balkans. Mais l'achever ? La Géorgie a été ignorée, et le fait que le Royaume-Uni ait choisi de partir ne signifie pas qu'il n'était pas une partie intégrante de l'Union européenne et ne serait pas accueilli à bras ouverts le jour où le pays deviendra un partisan du projet européen. Qu'en est-il d'autres pays comme la Suisse ? Il peut y avoir une finalité au mandat de la présidente de la Commission, mais il est difficile d'affirmer que le projet européen puisse être complété. Il s'agit plutôt d'un site « en chantier » permanent, à l'intérieur et à l'extérieur, et en tant que tel, il ne sera probablement jamais achevé. Il y aura toujours quelque chose à améliorer et à réparer. Étrangement, Ursula von der Leyen n'a été faite aucune mention des fissures existantes et du besoin d'une intervention de style « Bauhaus » en Pologne et en Hongrie après leur rénovation bricolée des principes démocratiques.
Parler d'achèvement revient à ne jamais toucher aux traités européens. Ils étaient censés eux aussi être gravés dans le marbre pour durer éternellement, la présidente de la Commission et les États membres se gardant de corriger même les lacunes les plus évidentes, comme le veto et les décisions à l'unanimité. Mais notre union est plus semblable à un organisme vivant : elle grandit de manière positive et négative, et les règles et réglementations qui étaient peut-être adaptées il y a 30 ans doivent s'adapter à un environnement en évolution. Des mesures audacieuses sont nécessaires pour faire avancer le projet européen tandis que la présidente de la Commission se contentait de marcher sur place.
Un envoyé pour les petites entreprises - déjà proposé en 2008
L'un des trois grands défis proclamés pour l'Union européenne est de réduire de 25 % les obstacles bureaucratiques pour les PME au niveau européen et national. Des objectifs ambitieux accompagnés d'un envoyé chargé de rendre directement compte à la présidente de la Commission et d'un examen des effets des nouvelles législations sur les petites entreprises. Cela semble innovant, mais ce n'est pas le cas. Déjà en 2008, la Commission européenne a proclamé le "Small Business Act for Europe", qui prévoit non seulement de réexaminer la législation pour la compatibilité avec les petites entreprises, mais aussi de nommer des envoyés afin de faire la liason entre la Commission et les PME. Et même avec 15 ans de retard, cela reste bien loin du Small Business Act" américain, qui vise à aider et à protéger les intérêts des petites entreprises et à réserver 20 % de tous les contrats publics aux PME.
Sur le front de la réglementation également, l'Union européenne va dans le contresens : le Cyber Resilience Act, censé de partir en trilogue, comprend des dispositions que la Commission elle-même estime coûteront aux entreprises au moins 40 000 euros de bureaucratie supplémentaire pour s’adapter. Pire encore, il risque d'anéantir l'écosystème européen du logiciel libre, composé principalement des PME, en rendant toute personne publiant du code source responsable des dommages causés par des tiers utilisant ce code dans leurs produits. Les logiciels open source contribuent entre 65 et 85 milliards d'euros à l'économie européenne. Ils sont essentiels pour l'autonomie stratégique et la compétitivité face à des géants comme Google et Amazon. Mais au lieu de s'inspirer de la stratégie nationale américaine en matière de cybersécurité, qui place la responsabilité sur l'intervenant le plus capable d'agir et exclue des utilisateurs finaux et des développeurs de logiciels open source, la Commission européenne accepte que nos PME quittent l'Europe ou cessent leurs activités. Les petites entreprises sont le socle de notre diversité et de notre économie. La Commission devrait mettre en pratique ce qu'elle prêche, plutôt que de menacer les PME avec une surcharge bureaucratique.
Gérer les migrations en déléguant la responsabilité à l'étranger
La présidente de la Commission a justement décrit les difficultés auxquelles nos économies sont déjà confrontées aujourd'hui pour trouver du personnel qualifié. L'Europe perd des opportunités, et la démographie aggraverait la situation. Notre main d'oeuvre va diminuer de 23 %, passant de 414 millions à 317 millions d'ici 2100. Nous pouvons bien sûr augmenter encore l'âge du départ à la retraite ou, comme l'a souligné la présidente de la Commission, mobiliser les femmes, les « NEETs » (qui signifie "Not in Education, Employment or Training") et, bien entendu, l'immigration pour tenter de maintenir notre économie à flot.
L'Allemagne a déjà besoin de 400 000 immigrants par an, la Hongrie a admis en avoir besoin aussi de 500 000, et même l'Italie ne peut s'empêcher de chercher à l'étranger 800 000 immigrants dans les prochains trois ans pour combler les postes vacants dans ses industries. La Commission a raison de vouloir gérer la migration et de s'attaquer au trafic d'êtres humains. Cependant, les accords conclus avec la Turquie ou récemment avec la Tunisie signifient que cette "gestion" est effectivement externalisée vers des pays extérieurs à l'Union européenne - souvent pas connue pour leur respect des droits de l'homme et du traitement humain des immigrants. Pire encore, au lieu d'agir nous-mêmes, la Commission nous forcera à réagir.
L'Europe est capable de surveiller les transactions financières sur tout le continent. Il en serait de même pour les migrations si la Commission et les États membres acceptaient de travailler ensemble au profit de nos économies. La migration clandestine cessera d'être un facteur si des voies légales accessibles vers l'Union européenne existent. Des visas de 6 à 12 mois pour chercher du travail, accompagnés, entre autres, d'un billet de retour et d'une caution pour couvrir les coûts de rapatriement, signifierait par exemple que les immigrants pourraient entrer légalement en Europe pour chercher du travail au lieu de tenter de traverser le désert et la Méditerranée à la merci des trafiquants d'êtres humains. L'immigration sera essentielle pour nos économies à l'avenir, et pour en faire un facteur de succès, la Commission européenne doit agir avec pragmatisme, vision et prévoyance.
Ce ne sont que quelques aspects d'un discours SOTEU 2024 qui peut se résumer à "bouger sans avancer". La présidente de la Commission a évité les annonces marquantes, en particulier en ce qui concerne la promotion du projet européen. C'était un discours qui détaillait les multiples défis auxquels nous sommes confrontés en tant qu'Européens. Cependant, et probablement compte tenu du peu de temps qui reste du mandat, les solutions proposées semblent insuffisantes et superficielles. Le projet européen a déjà parcouru un long chemin, mais pour faire les prochains pas, nous avons besoin d'une vision plus grande que l'ajout de quelques pays à l'ensemble. Nous avons besoin de mesures plus audacieuses que des conférences et des sommets symboliques. Nous avons besoin d'engagements concrets pour nos PME au lieu de propositions recyclées et d'une bureaucratie excessive. Nous avons besoin d'une perspective à long terme sur la manière de transformer l'immigration en un levier dont nos entreprises auront besoin. Les élections européennes offriront de nouveau la possibilité aux citoyens d'élire un Spitzenkandidat. Espérons que cette fois-ci, leur choix sera respecté et que notre prochain président de la Commission nous conduira plus loin vers l'Union européenne dont nous avons besoin.