Tarifs douaniers : pourquoi un jeu à somme nulle ?

Blog, 13/03/2025, par Sven Franck (in english , in Deutsch)
TL;DR - Après de longues tergiversations, l’Union européenne s’est vu infliger par la nouvelle administration des États-Unis des tarifs douaniers de 25 % sur l’acier et l’aluminium. La Commission européenne a riposté coup pour coup avec des tarifs équivalents qui entreront en vigueur le 1er avril. Sans blague. Mais quel est le but ultime ? Pourquoi ne pas jouer plus intelligemment et faire en sorte que nos réponses renforcent la résilience de l’UE ? Après tout, « un œil pour un œil » ne devrait pas signifier que nous nous crevons nous-mêmes un œil si les États-Unis en font.
Des mesures chirurgicales plutôt que des tarifs
En parlant de se crever un œil, la semaine dernière a également vu les États-Unis abandonner leur soutien aux avions de chasse F16 fournis par d’autres pays à l’Ukraine. Sans blague non plus. Cela signifie que tout système d’armement avancé acheté aux États-Unis peut être "désactivé" : tout comme une Playstation devient inutilisable sans accès aux services en ligne de Sony, tout produit militaire "Made in USA" comporte désormais le risque d’être neutralisé en un clic. La pluspart des États membres de l’UE ont des commandes en cours pour des avions de chasse américains F35. L’UE pourrait demander aux États membres de réévaluer leurs engagements et se tourner vers des fournisseurs européens… si nécessaire, façon Aukus.
Pourquoi ne pas aller plus loin ? Les réseaux sociaux sont devenus un nouveau champ de bataille contre la démocratie. Nous avons récemment vu les « tech bros » se ranger du côté du nouveau président américain : entre la dissimulation de publications contenant certains mots-clés (comme celui de "démocratie") et l’ingérence flagrante dans nos élections en Europe, la principale vulnérabilité de nos démocraties réside dans les réseaux sociaux. L’UE n’est pas à la hauteur, se contentant de simples amendes mineures au lieu d’imposer le principe d’interopérabilité. Imaginez pouvoir suivre vos parents sur Facebook et vos amis sur Instagram dans un même fil d’actualité privé. C’est cela, l’"interopérabilité", et cela briserait les écosystèmes fermés conçus pour nous rendre accros sur ces plateformes. Les États membres interdisent déjà les smartphones dans les écoles. Si l’UE voulait envoyer un signal fort, elle étendrait le champ d’application du Digital Services Act aux réseaux sociaux et permettrait l’émergence d’alternatives européennes.
L’UE pourrait aussi se montrer bien plus affirmée en matière de données sensibles. Donald Trump a imposé que toutes les décisions de sécurité nationale de Joe Biden soient réexaminées et potentiellement annulées dans les 45 jours suivant son investiture. Cela inclut l’accord de transfert de données entre l’UE et les États-Unis. Conclu à la hâte après l’invalidation de l’accord précédent par la décision Schrems II, il visait à justifier la poursuite de l’utilisation des services cloud américains par les entreprises et gouvernements européens. Avec une base juridique en lambeaux et un partenaire américain de moins en moins fiable, les experts appellent à réduire les risques et à migrer vers des solutions européennes. Qu’est-ce qui empêche la Commission européenne de passer à l’action ?
Accroître l’influence économique mondiale ?
Le retrait des États-Unis de partenariats et accords internationaux est une opportunité pour l’Europe afin qu’elle comble ce vide et élargisse son influence économique. L’ordre international fondé sur des normes et la coopération a été primordial pour la croissance économique depuis des décennies. Nous ne devrions pas sous-estimer l’importance que les pays du monde entier accordent à la fiabilité et à la sécurité juridique. Le plus grand atout de l’Union européenne est son pouvoir réglementaire et la stabilité qu’elle garantit. S’il est essentiel de renforcer notre capacité de dissuasion militaire, une réponse aux tarifs douaniers devrait également inclure une initiative visant à élargir l’Espace économique européen vers une nouvelle zone économique mondiale.
Enfin, et pour accompagner ces efforts, l’UE pourrait « officiellement envisager » la création d’un panier de monnaies de réserve. À une époque où les États-Unis ne sont plus un partenaire fiable, la diversification des risques est tout aussi essentielle pour les réserves – d’autant plus au regard de la dévaluation du dollar, du risque de récession et des menaces de blocage budgétaire aux États-Unis. L’UE pourrait même s’inspirer des méthodes du nouveau président américain en affirmant que le retrait des États-Unis de ses engagements internationaux ne peut pas avoir pour conséquence que ces derniers continuent à profiter de leur avantage en tant que seul fournisseur de monnaie de réserve mondiale. Dans un monde multipolaire, les risques doivent être répartis, et une initiative avec la Chine pour diversifier les réserves en euros et en yuans (RMB) susciterait certainement un vif intérêt à travers le monde.
En matière de poids économique, l’Union européenne n’a aucune raison de se cantonner à un rôle de second violon. Face au risque que nos États membres suivent 27 directions différentes, c’est à l’Union de coordonner les efforts, plutôt que d’être simplement invitée à la table pour discuter de l’avenir de l’Europe. Pour cela, elle doit montrer sa capacité d’action et élaborer un plan pour les années à venir. Se contenter d’imiter les décisions erratiques des États-Unis reviendrait à jouer un jeu économique à somme nulle. Si les États-Unis veulent sortir du commerce mondial à la manière d’un « Brexit XXL ». Nous ne devons pas suivre leur exemple, mais au contraire saisir l’opportunité que cette posture nous offre. Dans un monde multipolaire, l’Union européenne doit porter une vision qui parle non seulement aux pays tiers, mais aussi à ses propres États membres, et devant mener aux réformes nécessaires de nos traités.